Pour moi, cette course, c'est la première barrière psychologique que j'ai franchie,
je crois. C'est une époque où je me rendais encore compte de ce que je disais.
C'est vrai, quand Anne-Valérie nous a appelées au milieu de la nuit en me disant « il faut
absolument vous l'encourager, il va craquer », j'ai dit « allez,
plus que 80 kilomètres ! » en me disant « Mais qu'est-ce que je raconte ?
» Aujourd'hui, ça ne nous choque plus du tout. Aujourd'hui,
on est insensibilisés. Ça, c'est moi qui discute avec mon chéri et son frère.
Ils sont, disons, mes sources d'inspiration. Bon,
ok, mes sujets d'études. Mes rats de laboratoire,
si vous préférez. Mes hamsters qui courent dans la roue.
Sauf qu'en réalité, ils s'y sont mis tout seuls dans la roue.
et que c'est plutôt moi qui ai le sentiment d'être un sujet d'expérience.
C'est même d'ailleurs un peu pour ça que je fais ce podcast.
Pour me réapproprier les choses. Fermienne, une histoire qui m'échappe en partie.
La diagonale des autres, épisode 1. Dans l'extrait que vous venez d'entendre,
j'évoque avec étonnement et je dirais même une pointe de sidération tant je ne reviens toujours pas d'avoir parcouru un
tel chemin mental, l'époque où je trouvais encore totalement hallucinant que des gens puissent courir une centaine de kilomètres
sans s'arrêter, en partie la nuit, la frontale vissée à la tête,
telle des cyclopes nictalopes. Mais ça, c'était avant.
Avant que mon beau-frère Yann, celui qui ricane,
ne gouroutise mon mec Loïc, l'autre couillon qui ricane.
avant qu'ils ne sombrent tous deux dans le trail et même l'ultra-trail,
et surtout, avant la diagonale des fous. Petite parenthèse avant de rentrer dans le vif du sujet.
Assistant vocal sportif, c'est quoi un ultra-trail ?
On parle d'ultra-trail quand un trail, c'est-à-dire une course à pied en milieu naturel,
dépasse les 80 kilomètres. Bon, déjà, ça vous plante le décor.
Mais laissez-moi vous expliquer ce qu'est cette fameuse diagonale des fous.
La Diagonale des Fous, qu'on appelle même la Diague dans le jargon,
faut vous y faire parce que vous allez beaucoup l'entendre ce terme.
La Diague donc, est le surnom donné à un ultra-trail au cœur de l'île de la Réunion,
qui réunit un peu plus de 2000 coureurs chaque année depuis 1989.
Son véritable nom est le Grand Raid de la Réunion,
anciennement appelé Marche des Cimes. Bon, perso,
je trouve ce nom d'origine plus élégant, mais j'imagine qu'il a été jugé trop poétique,
ou du moins pas assez dramatique, pour permettre de véritablement mettre en garde les audacieuses et audacieux pris par l'envie de
parcourir 175 km sur 10 500 m de dénivelé positif.
Oui, vous avez bien entendu, j'ai dit audacieuse et audacieux,
parce que pour une fois, et contrairement à d'autres disciplines,
la course à pied est un sport très paritaire. Et j'ai surtout dit,
vous avez bien entendu aussi, 175 kilomètres sur 10 500 mètres de dénivelé positif.
Assistant vocal sportif, c'est quoi un dénivelé positif ?
Le dénivelé positif est la somme de toutes les altitudes qui sont à monter pendant une course.
il permet d'évaluer son niveau de difficulté. Voilà.
Sauf que qui dit montée, dit descente. Et ça, on en parle moins.
Pourtant, ça n'est pas forcément le plus facile.
Surtout quand on est au beau milieu des montagnes,
des forêts, des cirques et des pitons rocheux, qu'il y a des apiques partout,
des rivières à traverser, des champs de boue à franchir.
Mais bon, c'est un autre sujet. Toujours est-il que certains et certaines trouvent pittoresque de découvrir ce joyau du
patrimoine mondial de l'UNESCO qu'est l'île de la Réunion en courant.
Et que pour leur faire plaisir, un petit trail est donc organisé au mois d'octobre au départ du sud
de la ville de Saint-Pierre, avec une arrivée 175 kilomètres plus loin donc,
dans le centre de la ville de Saint-Denis. Alors oui,
je sais, courir et marcher plus de 20 heures d'affilée paraît comme ça inconcevable,
inenvisageable pour le commun des mortels. Mais croyez-moi,
c'est tout à fait ok pour des Mathieu Blanchard et des Manon Boart,
qui sont les vainqueurs de l'année dernière. Il n'y avait qu'à voir leur tête à l'arrivée,
ils sont sortis de là presque frais. Enfin, comparativement aux autres,
j'entends. La plupart des coureurs et des coureuses s'écroulent en passant la ligne d'arrivée.
Mathieu Blanchard, lui, on le voit continuer à courir pour taper dans les mains du public.
Et il donne des interviews. On est quand même étonnés de vous arriver aussi frais.
Vous auriez pu encore faire 25 kilomètres comme ça ?
C'est une poker face, c'est ça. Non, oui, j'aurais peut-être pu faire 25 kilomètres de plus.
Il n'y a pas vraiment de limite, en fait. Mais je suis épuisé,
là, en fait. Je suis vraiment, vraiment épuisé. Dans la dernière descente,
je suis tombé plein de fois, je n'avais plus de lucidité,
je ne voyais plus rien. Et il était temps que ça finisse quand même avant de se faire mal.
Oui, enfin, le type enchaîne quand même sur presque 10 minutes d'interview.
C'est d'ailleurs tout le vice de la diagonale et des trails en général,
puisque paradoxalement, les meilleurs runners sont celles et ceux qui s'abîment le moins.
Bah oui, parce que je peux vous dire que quand on endure le même trajet en 40,
50 ou 60 heures, les séquelles ne sont pas tout à fait les mêmes.
Je ne sais pas si vous vous imaginez ce que le tout dernier gars qualifié,
Didier Maramas, a enduré en 65 heures, 57 minutes et 29 secondes de trail.
66 putains d'heures à monter, descendre, pour remonter,
redescendre, encore et encore, à taper dans les muscles,
à prendre dans les articulations, à dormir par tranches de 10-20 minutes par-ci par-là,
à boire et manger ce qu'on peut comme on peut, Soixante-six heures !
Tout le monde là, c'est trois nuits et trois jours !
Non, attendez, je décompose parce que je veux que tout le monde se rende bien compte.
C'est un soir, puis une nuit, une journée entière,
puis un autre soir, une autre nuit, et re une journée entière,
re un autre soir, re une autre nuit, et une grosse demi-journée en plus.
Assistant vocal sportif... Pas la peine de me poser la question,
j'ai la réponse. La plupart des gens pensent que l'ultra-trail,
c'est ultra-con. Oh putain, j'en peux plus. De fait,
c'est un point de vue partagé par beaucoup de monde,
moi la première, mais ce n'est pas sujet pour le moment.
À ce stade, ce que je voulais, c'était vous faire comprendre,
et normalement ça doit être bon, pourquoi cet ultra-trail a été rebaptisé la Diagonale des Fous.
Alors des Fous, moi, j'en ai deux dans ma famille.
Vous les avez déjà entendus en début d'épisode. Il s'agit de Loïc,
ma moitié, et Yann, son frère. Après j'en côtoie de fait d'autres,
mais ils sont moins proches ou moins fous. Mais Yann et Loïc n'ont pas toujours été comme ça.
C'est même assez récent, à vrai dire. Pour vous retracer un peu comment tout a commencé,
c'est mon beau-frère Yann qui est tombé le premier dans la marmite de la course à pied et qui a
entraîné, au sens figuré comme au sens propre, son frère Loïc.
Loïc et moi, on avait commencé à courotter en couple au moment du deuxième confinement parce qu'on n'avait pas envie de
reproduire l'expérience pondérale du premier confinement qui nous avait fait prendre 10 kilos.
Pas 10 kilos à deux, 10 kilos chacun. Et puis, je ne sais pas bien comment,
un mélange de fusion fraternelle presque gémellaire,
de crise de la cinquantaine rayonnante, de prédilection pour les défis à la con,
et puis il faut bien leur reconnaître ça aussi, une volonté haut niveau,
Loïc et Yann sont passés du jogging du dimanche au marathon,
des marathons au trail, et quasiment sans transition,
ils se sont retrouvés à faire la diagonale l'année dernière.
Mais ce qui est extraordinaire, c'est que ce sont des fous lambda.
Pas des fous professionnels, ils ont un vrai travail à côté,
et même plutôt prenant, chacun dans son genre. Pas des fous forcenés,
dans le sens où ils ont une vie en dehors de la course,
une famille, des amis, des activités. Pas des fous ayatollahesques non plus,
puisqu'ils sont amateurs de bonne bouffe, qu'ils sont loin d'être les derniers à lever le coude,
et que certains diront même qu'il ferait mieux de le lever un peu moins en période d'entraînement
et hors entraînement. Vous voulez rien boire ? C'est un changement.
Ça ? Ça ne vous intéresse pas ? Non, ça ne me intéresse pas.
Là, on a commencé à la bière. Et sinon, il y a du rose,
le frais, il y a du blanc, le frais, il y a du champ.
Et si Yann était un peu plus expérimenté, Loïc n'avait fait que deux trails avant de se lancer.
Tout ça pour dire qu'ils ne sont ni champions, ni médiatisés,
ni surentraînés. Ils font partie de cette grande majorité des autres coureurs,
dont on ne parle pas, qui s'accrochent à ce rêve un peu fou de tenter leur chance à la Diag.
Une diagonale qu'ils ont plus ou moins réussi à faire l'année dernière,
avec tout un tas de péripéties, de rebondissements,
de joies et de déconnues qui expliquent en partie pourquoi ils veulent la refaire cette année.
Oui, ça a l'air assez dingue. Je pense qu'on ne peut pas comprendre,
en fait. Ceux qui ont vécu à l'extérieur peuvent comprendre.
Alors si, justement. Avec ce podcast, j'espère réussir à vous faire comprendre ce qu'on a vécu.
Mais je vous raconterai ça plus tard. Pour en revenir à ce que je disais,
je range donc Loïc et Yann dans la case des autres coureurs.
Quant à moi, enfin nous, leurs femmes, leurs enfants,
leurs parents, leurs amis, leurs collègues, nous sommes d'autres autres encore,
ceux dont on parle encore moins, ceux qui restent dans l'ombre de leurs coureurs pour les épauler,
les soutenir, les accompagner moralement pour certains,
et c'est déjà beaucoup, physiquement et matériellement pour d'autres,
et c'est toute une histoire. Une histoire qui m'intéresse tout particulièrement,
puisque je suis dedans jusqu'au cou.
Dans cette histoire, vous allez entendre plein de monde,
mais je vous présente les principaux protagonistes,
en dehors de Loïc et Yann. Non mais déjà, il faut que je vous présente,
regardez. Eh, tu as un bon number ? Oui. Bonjour micro.
Bonjour micro. Loïc, bonjour micro. Bonjour micro.
Et du coup, c'est ça ? Il y a Anne-Valérie, la femme de Yann,
ma belle-sœur adorée. Tu vas nous faire quoi là ?
Tu vas enregistrer nos voix ? Je suis en train de t'enregistrer là.
Pour l'IA ? Oui. Bonjour Laetitia. Il y a mes neveux et nièces,
les enfants d'Anne-Valérie et Yann Solène, qui est venue avec nous l'année dernière Bonjour Bonjour
micro Soisique, qui n'est pas venue avec nous l'année dernière Moi je pense que c'est pour ça que peut-être je suis un peu
plus extérieure quand même Qui de ce fait a plus de recul Mais qui de toute façon et par nature est toujours beaucoup dans
l'analyse des choses Donc il y a aussi ce truc sociétal quand même Et Aymeric,
qui lui n'a pas du tout envie de parler J'ai pas envie de parler Comme ce sont de grands enfants
maintenant, de 28, 27 et 23 ans, il y a leur plus un aussi.
Clément, Malo et Liora, vous les entendrez plus tard.
Et puis il y a mes enfants à moi, enfin à nous, ceux qu'on a coproduits avec Loïc.
Ange, 17 ans, et Maë, 14 ans, qui nous avait tout comme Solène accompagnés l'année dernière.
Ça, c'est Ange qui fait le malin avec mon micro pendant que j'ai le dos tourné.
Mais il sait aussi dire et faire des trucs intelligents,
je vous rassure. Et voilà Maë. Il s'est tellement capable de le faire.
On va dire qu'ils ont des couilles quand même On ne dit pas de son papa et de son tonton Il faut dire qu'ils ont des couilles
quand même Ange lui a dit bite dans le micro C'est parce que je suis une fille c'est ça ?
C'est parce que je suis une femme ? Mais pour qu'il y ait une histoire Il faut déjà qu'il y ait un dossard Et rien que ça
c'est déjà une épreuve La course à pied étant devenue un véritable phénomène sociétal Et pas seulement chez les cinquantenaires
Toutes les courses même les plus confidentielles et les plus ardues Jusque là briguées seulement par les initiés sont aujourd'hui prises
d'assaut. Et la Diag ne fait pas exception, bien sûr.
Cette année, les dossards sont partis plus vite que les places pour le concert de DJ Snake au Stade
de France. Et puis, comme toujours, quand il y a une telle demande,
le serveur a complètement saturé. On n'arrivait pas à se connecter.
Et quand on y est arrivés... Mais donc là,
on n'a rien à faire ? On attend juste 11h ? On attend qu'ils ouvrent la page.
Normalement, cette page, elle va changer en 4 minutes.
D'accord. Il faut rafraîchir. Je rafraîchis, je rafraîchis.
Et toi, tu rafraîchis ? Ouais. Ça y est, il est 11h.
Je sais, ouais. C'est parti ! À suivre ! Sous-titrage ST'501 Sous-titrage ST'501